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La série Glimpse
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GLIMPSE 4
Article par Richard Leydier (journaliste à la revue artpress)
Morceaux choisis du Glimpse 4 : deux filles font l’amour à même le sol d’un appartement bourgeois. Elles s’échauffent peu à peu, puis, sous l’injonction d’une voix demeurant hors champ, elles se retournent et, côte à côte, présentent leur cul à la caméra. C’est alors que les deux bras d’un homme font irruption dans le champ. Sur un rythme saccadé et irrégulier, deux doigts de chaque main pénètrent le sexe des deux femmes. Très vite, ils battent en parallèle la mesure d’une symphonie où les cris, les gémissements et le clapotis des humeurs vaginales ont valeur instrumentale. Ce sont là les doigts d’un pianiste ou d’un chef d’orchestre, ils alternent subtilement le glissando et le staccato pour faire vibrer les membranes et les cordes vocales des deux femmes offertes. Autre scène, deux filles, encore, sont allongées sur un lit, sexe contre sexe, unies par leurs toisons fournies comme une créature siamoise inédite.Elles se masturbent avec un vibrateur, un étrange appareil, une sorte de batteur à œufs orgasmique.
Elles sont filmées en vue plongeante, si bien que leur position évoque la figure des dames des cartes à jouer, mais des dames qu’on aurait débarrassées de leurs robes damassées, révélant ainsi l’activité onaniste dissimulée jusqu’ici par les étoffes. Là encore, le vibrato de l’appareil déclenche des vocalises n’obéissant à aucun solfège, un chant instinctif et universel de la jouissance, le plus vieux chant du monde. La musique, la vraie, n’est pas en reste, elle accompagne pratiquement toutes les saynètes du Glimpse 4 ; ici une reprise de « Hey Joe », là un morceau de flamenco, ailleurs de la musique sacrée. De temps à autre, sur ces airs installant à chaque fois une ambiance particulière, une jeune fille danse, devant le Colisée à Rome, ou dans le même salon parisien qui fait office d’atelier de l’artiste…
La musique, la danse, le sexe, les corps, c’est bien toutes ces composantes de la vie que tentent de saisir les Glimpse de Roy Stuart. En anglais, glimpse signifie « entrapercevoir », « capter un instant fugitif ». Ces vidéos attrapent à la volée des moments rares, c’est pourquoi les Glimpse ne mentent pas. En faisant parfois appel à des poncifs scénaristiques, comme les ramoneurs troussant la bourgeoise en peignoir de soie, avec l’irruption tardive du mari en pyjama, les Glimpse jouent la théâtralité du porno, mais ils s’en différencient radicalement par l’humour d’une mise en scène dans la mise en scène qui installe la vérité du documentaire : les éclairages sont visibles à l’écran, un assistant passe dans le champ de la caméra, on goûte la bonne humeur des séances de pose... On peut ici s’interroger sur le lien qui unit les Glimpse aux photos de l’artiste, puisque les premiers révèlent les dessous des secondes.
On aura remarqué que, sexuellement parlant, il se passe plus de choses dans les films que dans les clichés, et que certains modèles qui peuvent paraître d’une extrême sagesse dans les livres de Roy Stuart se lâchent totalement dans les DVD. C’est là sans doute que l’artiste révèle son talent. En effet, pour qu’il y ait les photos, il faut qu’il y ait eu tout cet enchaînement d’événements qu’on découvre en vidéo. Il faut qu’il y ait eu des actes sexuels pour qu’à la fin, on ait une image fixe moins explicite mais étonnamment suggestive, et qu’en elle résonnent les sons et flotte le parfum d’ébats torrides. En un sens, les photos « captent un instant fugitif » des vidéos, elles en sont la quintessence, elles sont en quelque sorte les « glimpse des Glimpse ». On peut alors considérer que les vidéos jouent, en regard des clichés, un rôle analogue à celui de l’esquisse pour la toile du peintre.
Mais le réalisme des Glimpse ne tient pas seulement à leur nature de making off. Il y a aussi des images qui ne trompent pas : on aura remarqué, dans le Glimpse 4, la très belle scène d’une femme blonde qui se masturbe, assise sur une banquette. On sent bien que le plaisir, ici, n’est feint d’aucune manière. On est très loin de l’aspect professionnel, mécanique et presque fonctionnarisé de la pornographie ; on est ici bien plus du côté de la performance artistique, d’un acte réel filmé d’une manière crue, livré tel quel avec une force de l’image qui tient de la frontalité de l’icône. Cette femme qui se donne du plaisir tout en soutenant le regard de la caméra, c’est le contrepoint hot et jouissif à l’Homme qui dort d’Andy Warhol."